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19 juin 2011 7 19 /06 /juin /2011 16:56

Trente ans après avoir rompu avec un Angola devenu indépendant, mais jugé trop proche de l’Union soviétique, le Chine a largement réparé son erreur initiale. L’ancienne colonie portugaise – dont il importe désormais 25 % de la production de pétrole – est devenue son deuxième partenaire commercial sur le continent. Luanda envisage même de créer des vols directs avec Pékin, et il serait question d’encourager la construction d’un quartier chinois dans la capitale en vue d’accueillir les cadres asiatiques.

Octroyé avec un taux d’intérêt de 1,5 % sur dix-sept ans, le crédit contesté aurait pu se révéler, à court terme, désavantageux pour Pékin. Il n’en permettait pas moins aux entreprises chinoises de s’attribuer la majeure partie du juteux marché de la reconstruction nationale. De quoi soulever l’inquiétude de la population.  

Les temps changent et, à Pékin, le pragmatisme a pris le pas sur la rhétorique idéologique.

Commerce extérieur et coopération économique sont d’ailleurs gérés par le même ministère.

 Jusqu’au milieu des années 1970, il s’agissait plutôt de construire la solidarité entre deux continents appartenant au même monde : celui des pays sous-développés. La présence chinoise en Afrique se résumait au technicien venu assister le pays frère fraîchement affranchi de sa tutelle coloniale et contribuer ainsi à son essor. Quinze mille médecins et plus de dix mille ingénieurs agronomes furent alors envoyés vers ce tiers-monde transformé en base arrière de la guerre froide.

Anti-impérialiste et contrepoids à l’Occident, la Chine s’infiltrait dans les territoires épargnés par les Etats-Unis et l’Union soviétique.

 

Elle réservait ses chantiers les plus ambitieux – tel celui de la construction du chemin de fer « tanzam » reliant la Tanzanie à la Zambie – ainsi que les accords de coopération militaire à ses amis idéologiques d’Afrique de l’Est (Ethiopie, Ouganda, Tanzanie, Zambie, etc.) et aux pays non alignés les plus importants comme l’Egypte.

De 1955 à 1977, la Chine a vendu pour 142 millions de dollars de matériel militaire à l’Afrique. Elle entrouvrait aussi ses universités : quinze mille étudiants africains y ont eu accès depuis les indépendances.

En 1977, la valeur totale des échanges commerciaux entre l’empire du Milieu et le continent noir atteint le record de 817 millions de dollars.

Dans les années 1980, alors que le Nord et l’URSS se retirent de l’Afrique et que l’aide occidentale au développement chute de moitié, Pékin maintient ses liens. Mais, abandonnant l’exportation de sa boîte à outils révolutionnaire, la Chine se consacre désormais à l’essor de son commerce extérieur et de ses investissements à l’étranger.

Lorsque la géopolitique de l’après-guerre froide et l’évolution incertaine du Proche-Orient ramènent les pays du Nord en Afrique, notamment pour diversifier leurs approvisionnements pétroliers, elle est déjà devenue l’« usine du monde » et convoite les matières premières du continent.

Deuxième consommateur de brut de la planète, plus de 25 % de ses importations de pétrole proviennent du golfe de Guinée et de l’hinterland soudanais. La soif d’un pays qui sera contraint d’importer 60 % de son énergie d’ici 2020 ne connaît aucune frontière, pas même celles des Etats qui, tel le Tchad, maintiennent leurs relations diplomatiques avec Taïwan ....

 Si l’Afrique ne représente que 2 % des échanges commerciaux chinois en 2004, le continent bénéficie particulièrement de sa « politique d’ouverture » : au cours des années 1990, le volume des échanges commerciaux entre Pékin et le continent a crû de 700 % et, depuis l’organisation, en l’an 2000 à Pékin, du premier forum sino-africain , plus d’une quarantaine d’accords ont été signés, doublant la valeur totale des échanges en quatre ans (plus de 20 milliards de dollars fin 2004). D’ici la fin 2005, la Chine devrait devenir le troisième partenaire (après les Etats-Unis, la France et devant le Royaume-Uni) commercial de l’Afrique. 

Les 674 sociétés publiques chinoises implantées sur le continent placent autant leurs fonds dans les secteurs porteurs – des mines à la pêche en passant par l’exploitation du bois précieux ou la téléphonie – que dans ceux jugés moins rentables, et parfois abandonnés par les Occidentaux.

C’est ainsi qu’ont été relancées l’exploitation des mines de cuivre zambiennes de Chambezi et les recherches pétrolières dans un Gabon où les réserves sont supposées se tarir.

En 2004, les investissements chinois s’élevaient à plus de 900 millions de dollars sur les 15 milliards de dollars d’investissements directs étrangers (IDE) en Afrique. Des milliers de projets sont en cours ; 500 sont exclusivement menés par la firme de travaux publics China Road And Bridge Corporation, contribuant à placer 43 sociétés chinoises parmi les 225 premières entreprises mondiales du secteur.        

 

Pékin s’est emparé du marché éthiopien des télécommunications, a repris certaines activités de la Gécamine (industrie minière) congolaise, a rénové la route Monbasa-Nairobi (Kenya) et lancé le premier satellite nigérian. Huit pays africains ont reçu le statut officiel de destination touristique, incitant les ressortissants chinois à s’y rendre.

Cette offensive économique et commerciale s’accompagne d’une intense activité diplomatique.

Arrivé au pouvoir en mars 2003, le président Hu Jintao a déjà effectué une visite remarquée au Gabon. En outre, une centaine de rencontres officielles ont été organisées sous l’égide des ministères du commerce et des affaires étrangères, qui se sont dotés de « départements Afrique ».

 

Dans de nombreux pays en crise ou en délicatesse avec la diplomatie occidentale, Pékin engrange les fruits de sa doctrine de non ingérence dans les affaires intérieures. Les relations avec le Soudan – au ban des Nations unies en raison, notamment, de la situation au Darfour – sont exemplaires d’une stratégie sans états d’âme. 

Dix ans après s’être installée sur les champs pétroliers alors inexploités de Muglad (au Sud Soudan), elle importe 50 % du brut local. De la Compagnie nationale de pétrole de Chine (CNPC) à la Zonggyuan Petroleum Corporation, treize des quinze premières sociétés étrangères implantées au Soudan sont chinoises.

Le cynisme de Pékin est apparu au grand jour lors du vote, en septembre 2004, de la résolution 1564 du Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) décrétant un embargo sur les armes à destination de ce pays. Sur fond de massacres au Darfour, l’ambassadeur chinois auprès de l’organisation, M. Wang Guangya, menaça d’y mettre son veto avant de s’abstenir. La résolution, proposée par les Etats-Unis, était pourtant déjà bien édulcorée. Cet incident a permis de mesurer la solidité des liens tissés entre Pékin et Khartoum.

 

De nombreux autocrates africains louent l’esprit de « respect mutuel » et l’« attention pour la diversité » culturelle qui caractérisent le commerce et la coopération chinoises – pour reprendre les mots du vieil ami de la Chine qu’est le président gabonais Omar Bongo Ondimba . Mais ce « safari » dans « l’eldorado  » africain inquiète les transnationales qui gravitent traditionnellement autour du continent « utile ». De même, une diplomatie américaine officiellement soucieuse de « bonne gouvernance » commence à s’irriter des pratiques économiques chinoises

les Chinois sont enclins à mener leurs affaires d’une manière que les Américains et les Européens commencent à rejeter : payer des pots-de-vin et autres dessous de table. D’où l’intérêt de certains pays africains à travailler avec des entreprises chinoises plutôt qu’avec des compagnies occidentales dont les marges d’action se sont resserrées depuis le lancement de campagnes telle que Publish what you pay (Publiez ce que vous payez) visant à plus de transparence financière   .

 les prêts conditionnés des grandes organisations internationales demeurent critiquables car ils soumettent sans discussion le pays bénéficiaire aux diktats des bailleurs, la coopération chinoise – qui accorde des crédits sans condition et prône le « clef en main » – favoriserait les « éléphants blancs » (projets morts nés) et s’écarterait des exigences minimales de transparence financière.

 De leur côté, les associations de défense de l’environnement surveillent l’avancée commerciale de la nation la plus polluante du monde – qui refuse de signer le protocole de Kyoto – ; 60 % des 4 millions de mètres cubes de grumes (troncs d’arbres) qu’exportent les pays africains est destiné à l’Asie, en quasi totalité (96 %) pour la Chine.

Les ventes d’armes chinoises constituent un autre sujet de préoccupation. Après avoir entretenu le meurtrier conflit érythréo-éthiopien de la fin du XXe siècle (plus d’un milliard de dollars de contrats), la Chine est soupçonnée d’avoir utilisé le Soudan, début 2000, comme débouché pour sa technologie militaire.

En outre, elle continue d’assister militairement le Zimbabwe, autre nation au ban de l’Occident . Plus globalement, on observe une impressionnante concentration d’attachés militaires chinois dans les pays membres de la Communauté pour le développement de l’Afrique australe – SADC . Ici aussi, « les considérations financières semblent plus importantes que les ambitions idéologiques et géopolitiques qui primaient sous la guerre froide  ».

Le modèle chinois du « win-win » (gagnant-gagnant) – ce nouveau jeu économique où, selon Pékin, il n’y aurait a priori aucun partenaire perdant – ne serait-il, finalement, qu’une nouvelle forme de néocolonialisme drapé des illusions d’un développement Sud-Sud ?

Certains observateurs africains n’ont pas manqué de s’interroger sur les limites de la politique commerciale chinoise et sur la concurrence directe que font peser certains produits asiatiques – du textile à l’acier – sur le tissu économique africain. 

 

Face à ces interrogations, le partenaire chinois multiplie promesses, cadeaux, références historiques à l’esprit de Bandung  et mesures symboliques à l’égard d’un continent dont il a annulé 12 milliards de dollars de dette bilatérale depuis l’an 2000.

Dix mille Africains sont en cours de formation à Pékin, dans le cadre du Fonds de développement des ressources humaines pour l’Afrique créé par le gouvernement chinois . S’impliquant de plus en plus dans les opérations de maintien de la paix, du Liberia à la République démocratique du Congo (RDC), Pékin envoie successivement des casques bleus sur le continent.

Tout en reconnaissant que la décision finale se trouve entre les mains de l’Union africaine, le pays soutient par ailleurs publiquement les trois candidats africains (Nigeria, Afrique du Sud et Egypte) – mais officieusement surtout le Nigeria – à un siège de permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.

Un nouveau grand bond en avant commercial s’est annoncé depuis 2006 , avec le lancement du Nouveau Partenariat stratégique Asie-Afrique , qui concerne le secteur privé et dont Pékin devrait être le premier bénéficiaire.

Etl e président Hu Jintao a promis « une coopération économique qui se préoccupera davantage des infrastructures, de l’agriculture et du développement des ressources humaines ». Un vœu pieux ? Une chose est sûre : Pékin « se comporte désormais comme n’importe quelle autre puissance soucieuse de ses intérêts bien compris. Elle cible sa coopération sur des pays à fort potentiel, qu’il s’agisse de matières premières, de pouvoir d’achat et d’influence diplomatique  ».

Jusqu’où et comment les partenaires traditionnels du continent s’accommoderont-ils de cette présence ? « Il est normal et naturel que l’investissement croissant de la Chine en Afrique conduise à un conflit d’intérêts avec les anciennes puissances coloniales.. Mais je ne crois pas que nous devions trop nous en inquiéter. Aider les Africains à améliorer leurs conditions de vie et à bénéficier de la mondialisation est l’objectif commun des peuples et des pays du monde entier. Et la population comme le gouvernement chinois aimeraient beaucoup y contribuer. Cependant l’expérience montre que ce sera un voyage long et difficile...

 

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